Suite à quelques débats que j'ai eus sur mon lieu de travail (notamment avec le cadavre de Schuman) au sujet du prochain référendum qui nous attend, j'ai eu envie de prendre la température de Planet au sujet de ce sur quoi porte ledit référendum : la Constitution Européenne.
L'Europe est le dernier grand projet qui porte notre pays, vu que l'incurie politique minée par le carriérisme de ceux qui ont en charge la destinée de la France, est devenue incapable d'en trouver d'autres.
Comme tout sujet d'importance, il peut donner lieu à des échanges passionnés (je me rappelle un magnifique échange de ce type avec mon frérôt Firou à coup de posts de 2 pages...^^).
Néanmoins, j'aimerais, pour lancer ce topic qui devra rester courtois, donner quelques informations pour déjouer le flot de conneries et de mensonges que déversent en ce moment la télé et les acteurs du soi-disant débat. "La Constitution permettra à la France d'être plus forte" dixit Raffarin = PIPEAU ! "La Constitution va créer une Europe plus libérale" disent les tenants de gauche du non = PIPEAU !
J'ai déjà eu l'occasion d'exprimer mes idées politiques humanistes ici, donc vous devinerez aisément quel sera mon vote. Ce que j'aimerais vraiment, c'est que quel que soit le vote que chacun exprimera, il soit exprimé EN CONNAISSANCE DE CAUSE.
C'est pourquoi je crois utile de faire un petit point sur le thème du référendum : la Constitution Européenne. En quoi consiste-t-elle ? A part Bayrou à la radio l'autre jour, je n'ai pas entendu un seul homme politique en parler.
Pour ceux qui voudraient se faire une opinion de la Constitution,
CLIQUEZ ICI (c'est le texte en ligne).
Je vous propose ce petit point.
Jusqu'à présent, l'Europe politique voulue par la France et l'Allemagne au sortir de la Seconde Guerre Mondiale pour garantir une paix durable pour les générations futures (c'est-à-dire nous) était fondée sur la base de traités. Le Traité de Rome fondateur, suivi de traités comme ceux de Maastricht, d'Amsterdam ou de Nice. Le problème avec les traités, c'est qu'ils se superposent les uns sur les autres et deviennent un gros bordel juridique. L'élargissement de l'Union Européenne à 25 membres a souligné l'urgence de simplifier tout ça, et la solution a été de regrouper tous les textes en un seul. Mais au lieu d'établir un nouveau super-traité, les Européens ont eu l'idée de se doter d'une Constitution. Une Constitution, c'est un symbole fort, car, si les traités sont en général le texte juridique préféré pour sceller des accords
économiques, la Constitution est le texte qui montre une volonté
politique dans la construction de l'Union. Bref, l'économie c'était bien, maintenant avec la Constitution il est temps de passer aux autres domaines : la politique et le social.
La Constitution reprenant les textes déjà existants, la majeure partie de son contenu n'a rien de nouveau et est déjà en vigueur en France et en Europe. Voici les 8 innovations qu'elle apporte :
1)
L'élection d'un président du Conseil Européen pour deux ans et demi
Jusqu'à présent, seul le parlement était élu par les citoyens d'Europe, et il avait peu de pouvoir. C'est la Commission qui l'avait, et elle était nommée par les dirigeants européens, c'est pourquoi elle était si technocratique. Maintenant, avec la Consitution, un président de l'Europe sera élu par nos voix, et nous devra des comptes.
A noter que le Président du Conseil Européen était jusqu'à présent nommé pour 6 mois, par le système de présidence tournante. C'était assez bâtard comme système, y a qu'à voir comment le couple Chirac/Jospin, puis Berlusconi se sont vautrés.
Si vous aimez la technocratie et les représentants lointains, qui ne prennent même pas la peine de se présenter, vous voterez donc non au référendum.
2)
L'attribution d'une personnalité juridique à l'Union Européenne
Jusqu'à présent, bizarrement, l'Union Européenne ne pouvait pas porter elle-même plainte dans le cadre de procès (comme celui contre les trafiquants de drogue trans-européens, par exemple). C'était les Etats ou les instances européennes qui devaient le faire. Avec la Constitution, cette bizarrerie est réparée.
3)
La création du poste de ministre des Affaires Etrangères de l'UE, chargé notamment de la Politique étrangère et de sécurité commune de l'UE
Comme on l'a vu au moment de la guerre en Irak, l'Europe manque de poids au niveau international. En se dotant d'un interlocuteur unique, elle pèsera davantage sur la scène mondiale. Et comme c'est le couple Franco-Allemand qui détermine dans les faits la politique étrangère, cela permettra aussi de diminuer le poids des voix dissidentes, atténuant le risque de cacophonie diplomatique.
Si vous pensez que la France a suffisamment de poids à elle seule et que Barnier pèse autant que Condoleza Rice sur la scène mondiale, vous pouvez voter non.
4)
L'instauration du droit d'initiative populaire en matière législative
Je ne sais pas si cette innovation aura un énorme impact, mais elle a le mérite de permettre de contrecarrer la technocratie et de rendre la parole aux citoyens.
"Des citoyens de l'Union, au nombre d'un million au moins, ressortissants d'un nombre significatif d'États membres, peuvent prendre l'initiative d'inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution."
article I-47
5)
L'intégration de la Charte des droits fondamentaux de l'UE dans le traité
Jusqu'à présent, les traités existants étaient surtout des traités économiques ou de coopération. Aucun texte commun de l'Union Européenne ne parlait de Droits de l'Homme. La Constitution répare cet oubli et donne à l'UE sa vraie dimension politique en plaçant l'homme avant l'économie.
Autrement dit, si la Turquie et la Croatie veulent un jour intégrer l'UE, elles devront d'abord se mettre au niveau requis de respect des droits fondamentaux de la personne.
"L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes."
article I-2
On comprend pourquoi Le Pen va voter non.
6)
La fusion des trois piliers en un seul texte définissant les politiques de l'UE
La notion de "piliers", apparue avec le Traité de Maastricht (1992), distinguant d’un côté la procédure "communautaire", et de l’autre la procédure "intergouvernementale", disparaît.
Les compétences sur lequelles l'Union et les Etats peuvent légiférer sont désormais définies précisément.
C'est ce point-là que brandissent les partisans du non, car l'UE sera compétente en matière de règles de concurrence.
Néanmoins, ils se gardent bien de citer ces paragraphes-là :
"En vertu du principe d'attribution, l'Union agit dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans la Constitution pour atteindre les objectifs qu'elle établit."
article I-11
(La souveraineté des Etats membres de l'Union européenne est garantie par le traité constitutionnel. Selon le principe de subsidiarité, l'Union européenne n'agit que dans les domaines où son intervention est jugée plus appropriée que celle des Etats membres, que ce soit sur le plan national, régional ou local, en raison de moyens supérieurs dont elle dispose.)
"L'Union reconnaît et promeut le rôle des partenaires sociaux à son niveau, en prenant en compte la diversité des systèmes nationaux."
article I-48
(Le traité constitutionnel consacre l'importance du dialogue social. Il implique les partenaires sociaux dans les décisions prises par les institutions européennes, afin de garantir le respect des droits sociaux des citoyens européens.)
"L'Union reconnaît et respecte le droit d'accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux assurant une protection dans des cas tels que la maternité, la maladie, les accidents du travail, la dépendance ou la vieillesse, ainsi qu'en cas de perte d'emploi, selon les règles établies par le droit de l'Union et les législations et pratiques nationales."
article II-94
(Le traité constitutionnel inscrit le droit à une protection sociale parmi les normes que doit respecter l'Union européenne. En vertu du principe de subsidiarité, ce sont les Etats membres qui fixent les conditions d'application de ce droit. L'Union européenne intervient pour garantir un minimum de protection et faciliter la mise en oeuvre de l'aide sociale en cas de mobilité entre les Etats membres de l'Union.)
"L'Union oeuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement."
article I-3
(Pour la première fois, l'Union européenne définit l'économie sociale de marché comme l'un de ses objectifs, afin de parvenir au "plein emploi" et au "progrès social".)
"L’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément à la Constitution, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union. "
article II-96
(Le traité constitutionnel reconnaît l’importance et la nécessité des services publics des Etats membres.)
7)
La simplification du schéma institutionnel
Comme l'Europe à 25 est ingouvernable, le Traité constitutionnel propose des modifications institutionnelles : la réduction du nombre de commissaires, la nouvelle définition de la majorité qualifiée et la simplification des textes produits par les institutions.
"La majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55% des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d'entre eux et représentant des États membres réunissant au moins 65% de la population de l'Union."
article I-25
Dans un souci de meilleure représentativité, la procédure de vote à majorité qualifiée est fondée sur la double majorité des Etats membres et de la population. Le poids démographique des Etats est désormais mieux pris en compte.
Autrement dit, quand l'Allemagne et la France décideront d'un truc, Malte ou Chypre ne pourront pas tout bloquer.
8)
La possibilité pour un Etat membre de quitter l'Union européenne
Là encore, une bizarrerie corrigée.
Voilà, la Constitution, c'est ça. Si vous votez non, c'est non à ça que vous voterez.
Ceux qui veulent voter non à l'Europe libérale ne feront rien, car le libéralisme était inscrit depuis le Traité de Rome et renforcé avec le Traité d'Amsterdam, et ces traités seront toujours en vigueur.
Parmi les arguments pour le non que j'ai également entendus, voici mes réponses :
- "L'UMP dit qu'il faut voter oui, et moi je ne vote pas pour ce que dit l'UMP"
JFM : Le FN dit de voter non, votes-tu pour ce que te dit le FN ?
- "En votant oui, je conforterai le pouvoir du gouvernement, voter non leur remmettra les idées en place, comme pour les régionales."
JFM : En votant non, tu ne conforteras pas les tenants du oui, mais tu conforteras dans le même temps les tenants du non : Jean-Marie "Les Français d'Abord" Le Pen, Laurent "Presidential chessmaster" Fabius ou Philippe "Etre de droite c'est dire non" De Villiers.
J'espère qu'en sachant tout cela, lorsque vous voterez, vous le ferez en sachant bien quelles sont les conséquences de votre vote, et pas celles que les conseillers en marketing de chaque camp vous aurons fait ingurgiter dans les médias.
Aux urnes citoyens !